Yves MWAMBA
Metteur en scène

Yves a reçu une aide à la production pour son spectacle Voix intérieures.

Quel est votre parcours artistique ?
Je suis né à Kisangani en 1988 en République Démocratique du Congo (c’était le Zaïre à l’époque). J’ai appris la danse hip hop très jeune de manière autodidacte. J’avais 13 ans, la ville était alors enclavée à cause des rebellions qui ont touchées la Province Orientale, Kisangani en particulier, entre 1997 et 2003. Tout était bloqué, mais les jeunes faisaient de la musique et dansaient, une vague hip-hop avait envahi la ville. C’est ce qui me faisait tenir debout et tenir tête à mon père. Lui rêvait pour son fils une carrière plus sérieuse. Cela peut paraître dérisoire dans mon milieu car au Congo si trouver à manger est le premier défi, alors, la danse sert à quoi ? Pour moi, c’est une nécessité. La rencontre avec le chorégraphe Faustin Linyekula est déterminante, en 2007. Au sein de sa compagnie Les Studios Kabako, je me forme à la danse contemporaine, l’improvisation et la mise en scène auprès de chorégraphes venus du monde entier comme Thomas Steyaert, Hafiz Dhaou, Ula Sickle, Boyzie Cekwana, Sylvain Prunenec… La danse contemporaine m’a permis de me structurer, de travailler la dramaturgie et l’espace scénique. En intégrant cette nouvelle technique, j’ai multiplié mon savoir-faire. En 2011, je me rends à Dakar pour suivre les ateliers d’improvisation de Keith Hennessy et Andrea Ouamba. Je montre en 2012 mon solo Juste moi au festival Connexion Kin à Kinshasa. En 2013, je fais partie de l’équipe de Drums and Digging, de Faustin Linyekula, le spectacle est joué au cloître des Célestins à Avignon et au théâtre de la ville, à Paris, suivi d’une tournée européenne qui dure deux ans. Depuis mon installation en France en 2015, je multiplie les collaborations avec la compagnie KMK lors de la nuit blanche 2016, la compagnie Kivuko, le collectif Belladone pour la réalisation d’actions pédagogiques et culturelles, les Ballets du Nord Pas de Calais avec le spectacle jeune publique Dadaaa, La compagnie S-vrai. Je retourne régulièrement au Congo pour participer à des festivals et animer des ateliers. Les Ateliers Médicis marquent une rencontre décisive dans mon parcours. Ils m’ont accompagné lors de la première édition de Création en cours, où j’amorce l’écriture de Voix intérieures. Deux ans plus tard, je suis lauréat de FoRTE, l’aide de la région Île de France pour les artistes émergents et nous lançons la production de Voix intérieures(manifeste) avec les Ateliers Médicis et le grand Gardon Blanc. Voix intérieures(manifeste), dont la création s’est achevée à Reims le 10 novembreest ma première pièce chorégraphique. Elle questionne la situation de la censure dans mon pays et partout dans le monde. Construite autour d’un trio qui m’associe à Rebecca Kabuo, militante et active et Pytshens Kambilo, musicien, la pièce restitue, à travers le langage poétique de Fiston Mwanza Mujila, auteur du texte et dramaturge, ces milliers de voix qui bouillonnent sans pouvoir s’exprimer, tant de rêves étouffés dans la brutalité.  La pièce débute avec la voix du militant Luc Nkulula qui explique la bataille des mouvements citoyens pour les droits fondamentaux :  avoir accès à l’eau, accès à la l’électricité, à l’éducation… Je narre le contexte politique désastreux, je narre aussi qui nous sommes, nos noms et nos corps. La chorégraphie qui mélange le krump et la danse contemporaine est un hommage à ceux qui se tiennent debout. Nos trois voix congolaises portent aussi les revendications du monde entier, enfin je l’espère.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Ma profession est essentielle. Avec la danse, je partage mes émotions, raconte des histoires et j’essaie de faire rêver. C’est un espace de dialogue où se croisent plusieurs disciplines, c’est un espace en mouvement où la création est sans cesse renouvelée. Mais c’est un secteur précaire, comme le secteur culturel d’une manière générale. Déjà, dans mon pays, au Congo, il n’y a pas d’aide pour la culture. En France, la culture tient une place importante mais j’ai l’impression qu’il y a des hiérarchies, entre la danse et le théâtre par exemple, et parfois entre des univers de danse. Cela m’interroge, j’aime les croisements et les passerelles. En tant qu’artistes nous sommes fait pour aller d’une rive à l’autre.

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
J’espère être toujours sur scène et créer des spectacles, continuer à nourrir ce désir de création et raconter des histoires. Je souhaite aussi multiplier les collaborations avec d’autres artistes qui me tiennent à cœur comme le chorégraphe Akram Khan ou Lia Rodriguez, l’auteure Léonora Miano dont je savoure ses essais et romans. Il y a beaucoup de travail à accomplir aussi du côté de la transmission... Et si j’arrête de danser... Ça n’arrivera pas de si tôt ;)

 

Interview réalisée en 2020
Photographie : Julia Grandperret