Romain GNEOUCHEV
Metteur en scène
Romain a reçu une aide à la création pour son spectacle Une chose vraie
Quel est votre parcours artistique ?
Je viens du cirque, traditionnel qui plus est. Cela me parait toujours étonnant de dire ça quand je regarde les esthétiques dans lesquelles je me reconnais et les formes que je produis aujourd’hui, mais c’est vrai. Mon père était metteur en scène et ma mère productrice de spectacles qui jouaient principalement sur des pistes rondes et rouges. C’est peut-être d’où me vient mon amour des formes épurées et minimalistes ; des white-box ; du théâtre à tendance documentaire et du réalisme social.
On est aux antipodes des combinaisons à paillettes et des sourires forcés. Je ne veux surtout pas résumer le cirque à cela car c’est un art que j’admire et qui a participé à construire l’artiste que je suis aujourd’hui. Je garde son sens de la tension et la sensation de vertige qu’il provoque, mais je refuse la douleur qu’il inflige à tous les corps qui permettent de lui donner vie.Plus concrètement, j’ai une formation relativement classique, deux années de formation initiale au Laboratoire de formation au Théâtre Physique et trois au Théâtre National de Strasbourg sous la direction de Stanislas Nordey, figure importante pour moi. J’ai appris à ses côtés l’amour inconditionnel du travail sur les écritures, sur la langue ; la rigueur avec laquelle il faut traiter un matériau littéraire pour y déceler les secrets cachés par l’auteur·ice.
Aujourd’hui, même si je garde un amour intact pour l’art du théâtre, voire pour sa tradition, j’aime me revendiquer plus expérimental et conceptuel. À la lisière entre documentaire et fiction, récit de vie et détournement du réel, je cherche les formes que je veux déployer et de nouvelles manières de raconter le présent. J’aimerais me situer quelque part dans la constellation suivante :
Jérôme Bel, pour la transparence avec laquelle il déploie la dramaturgie de ses spectacles.
Lorraine de Sagazan, pour sa manière d’utiliser le récit de l’expérience théâtrale au service de son sujet.
Ken Loach, pour la puissance avec laquelle il articule intime et politique.
Lars Von Trier, pour la subtilité de sa subversion et de son jeu avec les limites.
Gérard Watkins, pour son sens du rythme et la précision absolue de son écriture.
Pascal Rambert, pour son amour sans limite des acteur·ice·s.
J’ai créé ma compagnie « Fugue 31 », en 2019, à Strasbourg. C’est la structure avec laquelle je produis mes spectacles. Bien que j’en sois le directeur artistique, je ne suis pas seul, loin de là. Depuis quatre ans, je suis accompagné par Léa Wermelinger. Elle est un soutien indéfectible. Sans son oreille attentive, le travail qu’elle fournit (production, administration, réflexion) et la complicité qui nous unit, je n’en serai pas là dans mon parcours.
En tant que compagnie, nous bénéficions d’un soutien précieux de la région Grand Est, de la DRAC Grand Est et de la Filature, Scène Nationale de Mulhouse.
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Anxieux et enjoué.
Anxieux, car pas une semaine ne passe sans que je n’entende parler d’une nouvelle coupe de subvention ou d’une décision politique abjecte. Cette anxiété dépasse le seul cadre du théâtre. Le fascisme gronde, la sphère politique se droitise de plus en plus radicalement, les médias et les réseaux sociaux sont chaque jour un peu plus aux mains des milliardaires et le service public est en cours de démantèlement depuis 30 ans.
La culture n’est pas seule, mais elle n’en est pas moins une victime capitale. Le discours dominant voudrait nous faire croire que c’est un épiphénomène, que « ce n’est pas si grave », que ce n’est pas « essentiel ». Il n’en est rien. L’art est le ciment du langage et de la beauté. Sa mise en danger est une mise en danger de la civilisation.
Enjoué, parce que si je n’avais pas la joie, je n’aurais ni l’énergie de lutter, ni celle de créer. Plus le monde devient violent et plus le langage se dégrade, plus ma conviction en l’absolue nécessité de défendre cet art grandit. Je n’ai pas peur de dire que l’art peut avoir un impact concret sur les personnes qu’il touche, que je crois en la sensibilité, que je crois en l’amour ; et que ces affirmations sont de plus en plus politiques.
Enjoué aussi parce que j’essaye de m’en amuser. Je me dis que, n’ayant connu rien si ce n’est la précarité, à titre individuel, mes conditions de travail ne peuvent que s’améliorer. J’ai commencé ma carrière 6 mois avant le Covid et depuis, nous traversons une succession de crises ; je m’y suis fait, c’est comme ça. Je n’ai ni le temps ni l’énergie de me laisser aller à ce climat morose. Plus que jamais, je veux lutter pour préserver l’art et les moyens de productions dont nous disposons encore. Point barre. Évidemment il est douloureux de voir la génération du dessus harassée et vidée de la dégradation des conditions de pratiques de nos métiers, mais nous (ma génération) n’avons connu que ça, et nous sommes bien décidé·e·s à prendre le relais et à continuer.
Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Toujours souriant, à jongler avec mes rêves. L’éducation d’un enfant, le militantisme, les recherches, l’écriture, les répétitions, les actions culturelles et pourquoi pas, la direction d’un théâtre ; c’est un rêve de plus en plus concret. Un « rôle dans la cité » ; une position permettant d’articuler art, politique, éducation et réflexion collective. Un rôle où je me rêve tourné vers les autres, permettant de partager les moyens de production afin de défendre un théâtre exigeant, novateur et en prise avec le présent.
Interview réalisée en 2025
Photographies réalisées en 2024 par Lys Arango