Poliana LIMA
Danseuse

Poliana a reçu une bourse pour participer à la manifestation Camping organisée par le Centre national de la danse.

Quel est votre parcours artistique ?
J'ai commencé à étudier la danse quand j'étais enfant, au Brésil, et j'en suis reconnaissante car là-bas, la danse fait partie de la vie quotidienne. J'ai également obtenu un diplôme en sociologie, ce qui est très important pour moi. Je pourrais dire maintenant que mon travail reflète une combinaison de mon histoire avec la danse, ainsi que le temps passé à l'université à explorer en profondeur les préoccupations sociologiques.   

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre profession ?
De manière pragmatique, je pense que la danse est une profession très difficile en Espagne, où je vis. Il y a très peu de soutien et nous sommes toujours dans une certaine précarité. C'est une réalité difficile à gérer. Je pense que c'est vrai dans de nombreux pays, et cela vient d'un manque de compréhension et de réflexion profonde sur la fonction sociale de l'art. Lorsqu'une société ne reconnaît pas la valeur de l'art, elle ne lui donne pas la priorité. Bien sûr, ce n'est pas seulement un problème en Espagne. Artistiquement, j'aime le corps et son mouvement.  J'aime regarder les gens danser, quel que soit le style ou la technique chorégraphique. Pour moi, il n'y a rien de plus puissant qu'un corps, ou plusieurs corps, qui s'abandonnent à la danse, ce qui pour moi est synonyme d'abandon à l'existence. J'apprécie également l'aspect artisanal de l'art, la composition. J'observe néanmoins que l'art contemporain perd cette capacité. Je ne pense pas qu'il soit possible de réaliser une pièce uniquement avec des idées.  Les concepts et idées ne suffisent pas. Politiquement, en tant que femme qui fait de l'art, je constate que nous commençons enfin à parler et à aborder la différence d'opportunités entre les hommes et les femmes dans les arts. Je ne connais pas la situation en France, mais en général, on trouve beaucoup de femmes qui produisent de la danse en tant que danseuses et chorégraphes, alors que les grands noms, avec de grandes ressources, du pouvoir, du respect et du prestige, sont des hommes. Pour moi, ce n'est pas innocent ou aléatoire : toutes les sphères de pouvoir sont dirigées en majorité par des hommes. Je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire à ce sujet, et nous devons commencer. Sur le plan social, je pense que la danse n'a jamais été aussi nécessaire qu'aujourd'hui. Pour moi, la danse est l'art de la présence, l'art de l'empathie, celui d'être profondément lié à un sentiment de communauté. Je pense que danser, voir quelqu'un danser, enseigner la danse, sont des actions profondément révolutionnaires qui créent une poésie naturelle. Je suis professeur de danse et je vois le pouvoir de la danse tous les jours. Je pense que l'avenir apportera une nouvelle compréhension du corps, du toucher, et de la communauté. Plus qu'une vague intuition, cela me semble être un besoin urgent si nous voulons répondre de manière responsable au monde.    

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Je me vois danser, créer, enseigner et apprendre jusqu'aux derniers jours de ma vie. C'est mon désir le plus profond, et mon orientation dans la vie. Dans 5 ans, je me vois faire ce que je fais maintenant, mais avec plus de ressources. Je me vois développer des projets et créer des chorégraphies, avec la possibilité de rémunérer décemment mes équipes créatives et techniques. J'aimerais aussi travailler avec de grands groupes de danseurs, ce que, du moins en Espagne, nous ne voyons presque pas sur la scène alternative (en grande partie par manque de ressources). Dans 10 ans, je voudrais sentir que mon travail sème des graines.  J'aimerais goûter mon travail, le respirer, sentir comment il transmet un sentiment de patrie et d'appartenance ; un sentiment sans sexe, sans âge, sans race, sans nationalité et sans frontières qui séparent les uns des autres.

 

Interview réalisée en 2017
Photographie : Antonin Amy-Menichetti