Jean-Charles MBOTTI MALOLO
Réalisateur

Jean-Charles a reçu une aide à l'écriture pour son prochain court métrage.

Quel est votre parcours artistique ?
J’ai grandi en essayant de conserver deux pratiques artistiques que j’ai toujours considéré comme complémentaires. Je fais de la danse depuis la fin des années 90, depuis que je vois des gens bouger autour de moi, en réalité. Un peu de la même façon, je me suis mis à dessiner très tôt, ça faisait partie des activités incontournables quand j’étais enfant. Certains s’ennuyaient vite, à l’inverse, je passais beaucoup de temps seul, face une feuille ou sur un bureau, à essayer de créer un objet artisanal quelconque. C’est surement de cette façon que j’ai pu développer un amour particulier pour les tâches qui demandent de la patience et de la concentration. Cela devenait logique, en grandissant, de me diriger vers un métier artistique. J'ai donc décidé d’intégrer un cursus général au lycée. L’école n’était vraiment pas mon fort - j’avais beaucoup de mal à comprendre le fonctionnement de l’institution - mais j’ai quand même réussi à avoir un bac littéraire arts plastiques, c’était la clé pour que je puisse faire une grande école de dessin. Je suis entré à Emile Cohl, en 2003, après un an à la fac. Et j’ai commencé à réellement me former en danse, à la même époque, en rencontrant des pionniers de la culture Hiphop. L’animation et la danse étaient les deux pratiques qui me suivaient partout, où que j’aille. J’ai eu mon diplôme, en 2007, grâce à un film qui alliait les deux esthétiques, Le Coeur est un Métronome. Il a remporté le prix du meilleur premier film au festival d’Hiroshima. Aujourd’hui je croise les doigts pour que l’un de mes films y soit sélectionné à nouveau. L’année qui a suivi la fin de mes études, j’ai intégré la compagnie de danse Hiphop Stylistik, en tant qu’interprète, et j'y suis resté environ dix ans. J’ai également travaillé sur la scénographie de quelques spectacles de danse, avant de démarrer une première production de long métrage à La Fabrique, un des plus vieux studios d’animation traditionnelle en Europe. J’y ai dessiné des décors pendant plusieurs mois, puis j’ai continué à faire un bout de chemin avec eux, jusqu’à ce que le studio ferme. Mon premier film, en tant que réalisateur dans un cadre professionnel, était une commande pour l’émission Karambolage d’Arte. Je l’ai livré en 2010. A la même période, j’intégrais le studio Folimage pour développer les décors d’un long métrage, et je commençais à écrire un nouveau court en parallèle. Le Sens du Toucher est le premier film que j’ai porté en tant qu’auteur et réalisateur, avec un financement traditionnel qui impliquait la chaine Arte et le CNC. Il a reçu un bel accueil du public, a participé à plus de 60 festivals et a obtenu 22 prix internationaux. En 2015, j’ai réalisé un film d’une minute pour Folimage et La Grotte Chauvet, tout en préparant le court métrage qui allait suivre. Make it Soul est sorti en juin 2018, avec pour ambition de rendre hommage à la musique noire américaine, en redonnant vie à Solomon Burke et James Brown.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
L’animation est un milieu dans lequel il est très agréable de travailler. Il y a une certaine lenteur qui me passionne, même si je la trouve frustrante par moment. Faire un court métrage, tous les quatre ans, n’est pas la perspective de travail la plus attrayante mais j’aime raconter par le dessin. Le processus de fabrication est long, certes, cependant tout devient possible en partant d’une feuille blanche. Tous les thèmes, graphismes, formes et formats sont à porter de la main. On revient rapidement sur terre lorsque l'on commence à penser au long métrage, parce que l'on est vite rattrapé par les questions de budget, de cible et de distribution. Il faut savoir jongler avec ces impératifs et trouver un équilibre qui permette de raconter les histoires qui nous tiennent à coeur, tout en aillant conscience des enjeux liés à l’industrie. L’animation pour adulte est encore considérée comme une niche autour de laquelle se cristallisent beaucoup de peurs. Ce n’est pas évident de fédérer dans ces conditions, mais j’espère qu’un changement pourra s’opérer dans les années qui viennent, pour qu’elle trouve une légitimité aux yeux du grand public et qu’elle fasse également sa place au sein de la profession. Le cinéma est large et pluriel, il a besoin d’être soutenu dans toutes ses formes. Recevoir deux prix au Festival de Saint-Jean-de-Luz est une récompense inattendue qui donne beaucoup de perspective. C’est non seulement un soutien primordial pour nous auteurs, mais également une démarche militante dans laquelle le festival permet de faire exister le cinéma d’animation à la même hauteur que le cinéma de prise de vue continue. Je ne remercierai jamais assez Patrick Fabre, le jury présidé par Corinne Masiero et le jury jeune marrainé par Clémence Boisnard, d’avoir donné ce coup de projecteur sur Make it Soul.

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
La bourse à l’écriture, octroyée par le fond de dotation Porosus, va me permettre de me remettre à l’écriture d’un nouveau projet de film, dans de bonnes conditions, c’est vraiment très motivant. J’éprouve beaucoup de gratitude, ces toutes premières étapes sont souvent difficiles à assumer seul, donc cette bourse va jouer un rôle essentiel dans les mois qui viennent. L’histoire qui m’habite aujourd’hui se dirige plutôt vers un format long. J’espère que je réussirai à mettre ces idées en forme rapidement. Peut-être que quelque chose se dessinera dans les cinq prochaines années, qui  sait ? En réalité, c’est dur de répondre à cette question. Les premières images qui me viennent ne concernent pas vraiment le travail, pour être honnête mais plutôt une vie de famille. Dix ans, c’est loin et tout proche à la fois. Mais rien ne presse. Si je n’arrive pas à me projeter jusqu’à là, j’espère simplement pouvoir continuer à vivre de mes passions dans les années qui arrivent, tout en essayant de donner plus de place au repos et à des relations humaines riches.

 

Interview réalisée en 2019
Photographie : Amandine Besacier