Eugen JEBELEANU
Metteur en scène

Eugen a reçu une aide à la production pour son spectacle Itinéraires, un jour le monde changera.

Quel est votre parcours artistique ?
Je suis metteur en scène et auteur. Je travaille en Roumanie, en Allemagne et en France. Après des études en jeu au Conservatoire National d’Art Dramatique de Bucarest (UNATC), j’ai poursuivi mes études, en France, au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris, puis au Master Professionnel Mise en scène et Dramaturgie à l’Université Paris X Nanterre. En 2010, j’ai fondé en Roumanie, avec Yann Verburgh, Compania 28. Au sein de cette compagnie, entre 2010 et 2015, j’ai créé en tant que metteur en scène et auteur plusieurs spectacles, parmi lesquels : dontcrybaby (traduit en allemand et publié aux Editions Theater der Zeit en 2015), RETOX – la Roumanie est un pays occidental photocopié (texte sélectionné dans le Palmarès 2014 de Eurodram, réseau européen de traduction théâtrale) et Elle est un bon garçon. En 2015, je suis invité par le Théâtre Gong de Sibiu pour créer Alice de Yann Verburgh. Depuis 2016, je suis associé au Théâtre National de Sibiu où j’ai mis en scène Le 20 novembre de Lars Nören, Familles (mon dernier texte) et Vue du pont d’Arthur Miller. En 2017, j’ai mis en scène en Allemagne Le Bouc de R.W. Fassbinder au Théâtre National de Stuttgart et en France Ogres de Y. Verburgh, avec lequel j’ai fondé la Cie des Ogres. En 2018, à l’invitation de la Comédie de Valence-CDN, j’ai mis en scène Digital Natives de Y. Verburgh et La vie sur la Place Roosevelt de Dea Loher au Wilhelma Theater de Stuttgart. Cette saison, je fais mes premiers pas au cinéma, à la réalisation, avec un long-métrage lauréat de l’aide à la production du CNC, en Roumanie. Mes créations sont programmées dans des nombreux festivals en Roumanie, en Pologne, au Danemark, en Allemagne et en Moldavie. En France mes créations sont programmées à Théâtre Ouvert, au Tinel de la Chartreuse, au Théâtre de Vanves, au CDN de Caen, au CDN de Béthune, au Théâtre Joliette à Marseille, au Théâtre de la Ville pour les Chantiers d’Europe et au Festival Actoral.  

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre profession ?
Depuis 2010, je mets en scène des fables qui traitent de questions de société, de sujets politiques et sociaux afin d'interroger les notions de normes sociales, d’identité et de liberté. Venant d’un pays, la Roumanie, qui a vécu pendant plusieurs décennies sous un régime dictatorial, j'appartiens à la génération qui s'est construite sur la chute de ce système et qui en porte l'héritage, un carcan idéologique qui imposait une pensée unique. De fait, ma démarche artistique est de donner voix à des individus anonymes, des non-héros qui n’appartiennent pas à la majorité et qui n’adhèrent pas à la « culture dominante ». Je souhaite construire un théâtre ouvert aux voix minoritaires, à ce qui est en marge, aux révoltes contre des systèmes qui oppriment nos initiatives afin d'affirmer notre liberté d'expression. Je vis aujourd’hui entre la France et la Roumanie et je me construis sur les gravas du passé, ceux de ma famille et ceux de mon pays mais avec la conviction qu’une possibilité de créer des ponts entre ces deux cultures est encore possible, au-delà des préjugés, des limites et des jugements de valeurs. ITINÉRAIRES (Un jour, le monde changera) est pour moi un projet comme une réponse nécessaire à tous ces questionnements sur le monde d’aujourd’hui. Au vu des grands mouvements de manifestations qui ont eu lieu ces deux dernières années en Roumanie contre la corruption et qui représentent la plus ample contestation populaire depuis la chute du communisme, j’ai envie de donner voix à cette jeunesse en lutte pour ses droits et sa place dans un monde plus juste. Mon travail de metteur en scène m’a conduit ces dernières années à travailler en Roumanie, en France et en Allemagne, au cœur de trois cultures différentes, dirigeant des actrices et des acteurs dans trois langues différentes. J’aimerais aujourd’hui réunir ces univers et ces langues sur un même plateau dans le but de faire naître un langage commun, celui d’une diversité au sein de laquelle les langues se confronteront, se comprendront et se répondront. 

Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Mon rêve est de continuer à éveiller l’émotion chez les spectateurs, par le biais du théâtre ou du cinéma, leur offrir un prélude à la vie et continuer à faire entendre les voix des gens en marge de la société, se battre pour leur droits et leur liberté d’expression. J’aimerais faire bouger les frontières interculturelles, créer plus de liens entre les territoires, rencontrer des inconnus, et partager des connaissances. J’aimerais que l’art soit toujours nécessaire pour le développement de notre société, qu’il puisse amener une pensée critique sur l’actualité et qu’il soit notre (seul) arme de résistance contre les dangers qui nous guettent.

 

Interview réalisée en 2019
Photographie : Amandine Besacier